RESHIFT EN 1983: DU RÊVE À LA DÉSILLUSION

En 1982, j’ai créé le groupe RedShift avec l’aide de Jean-Robert Bisaillon (clavier, chant), Daniel Jobin (percu électronique) et Ian Stephens (paroles, voix lead). Peu de temps après nos premières perfos au Zoobar (devenu plus tard les célèbres Foufounes électriques), Mary-Ellen Pitts s’est jointe à nous comme co-lead singer. Nous étions donc un groupe tout électronique, sans guitare ni batterie, avec des influences éclectiques allant des Doors, à Joy Division avec un brin de folie plus légère à la  B52’s.  La progression du groupe est relativement rapide et nous obtenons rapidement une bonne réaction du public et des médias. 

Au printemps  ’83, nous entrons en studio pour la première fois (Multisons, un 16-pistes bien coté, rue Beaubien). Nous enregistrons 5 pièces en trois jours après avoir loué et programmé une drum machine numérique Oberheim DMX, histoire de créer un son plus costaud, plus rock (notre beat box, une Roland TR-606 a toujours sonné comme un jouet à mes oreilles, bien qu’elle soit devenue une légende aux côtés de son jumeau le célèbrissime T-303 Bassline. Les deux sont maintenant hors prix, mais ça c’est une autre histoire…). 

Nous voilà avec un “démo” qui sonne ma foi fort bien. Il circule et est diffusé par CHOM et CBC dans le cadre d’ émissions spécialisées. C’est assez particulier parce que sur 5 morceaux, on entend trois chanteurs différents(!) dont Jean-Robert pour “Anachronique”, la seule pièce en français.  De plus, côté style, ça tire dans tous les sens: de la typique new wave “Abandon” (avec un solo (!) à l’époque où c’est proscrit par la doxa punk/new wave!), à la plus salace “Underflesh”, en passant par “Miscellaneous dreaming”, quasiment une ballade FM!. Je plaide coupable au premier chef pour ce méli-mélo un peu indigeste, ayant milité pour une diversité réflétant mon propre éclectisme débridé… Réussirons-nous  à se magasiner un contrat de disque avec ce démo?…la suite s’en vient… mais avant: 

Interlude: le show de la St-Jean! 

Grâce aux contacts de J-R,  nous sommes engagés pour un concert extérieur gratuit le 23 juin en soirée dans le cadre des festivités St-Jean-Baptiste montréalaises. La scène est installée sur un terrain vague, coin Bleury et de Maisonneuve. Nous sommes un peu fébriles de jouer devant un auditoire qui sera plus nombreux et moins familier avec notre musique que ce à quoi nous sommes habitués…en plus de chanter en anglais à la Fête Nationale!  Il est décidé que nous utiliserons les pistes de batterie Oberheim DMX du démo en playback sur mon enregistreuse Teac,  au moment d’interpréter les  morceaux enregistrés en mai à Multisons… 

Le jour fatidique, musiciens et techiciens s’activent en après-midi…alors que le ciel s’ennuage rapidement. Après les tests de son, je suis pris de panique à l’idée qu’un orage s’abatte sur les lieux…la scène n’est pas couverte!. Je me souviens tout-à-coup qu’il y a un magasin de surplus de l’armée juste à côté, rue Bleury. Je m’y procure une bâche que j’arrime tant bien que mal sur mon équipement (synthé Roland Jupiter 4, piano électrique Wurlitzer, TR-606, mixeur, enregistreuse 4-pistes Teac, etc!!!). Le Farfisa de Jean-Robert est…nu comme un ver! A contrecoeur, je rentre à mon apart pour manger et me doucher…le concert étant prévu pour 22h30! De ma cuisine dans l’Est, je vois le centre-ville couvert des nuages les plus noirs, les plus menaçants. Le vent se met à souffler et j’entend les vitres tinter. C’est l’apocalypse… à peu près tout ce que je possède se trouve dehors, à cing kilomètres, à peine protégé par une pauvre bache. Et puis, miracle, le ciel se dégage…mais je ne sais pas s’il a plu sur le site du concert.  Six stations de métro plus tard, j’arrive sur les lieux: les claviers de Jean-Robert ont été renversés par le vent! On teste le tout, ça marche! 

En plus, ma bâche a tenu le coup! Les gens sont venus, il y a une foule considérable. 

Le moment d’entrer en scène approche, la noirceur s’installe. En vérifiant le magnétophone…je constate avec horreur que la bande magnétique des pistes de batterie s’est débobinée un bout, toute emmêlée! Je suis à nouveau saisi d’une panique totale…mais qu’est-ce qu’on va faire… Plus je tourne, plus ça semble se tortiller. Malheur! Je scrute la foule à tout hasard…et puis, je l’aperçois! mon frère Hubert l’ingénieur… Je dégringole en bas de la scène et l’agrippe par le bras…”Viens t’en!”.  Avec calme et patience, il commence à démêler le tout. Ça m’a semblé durer une éternité mais il y est parvenu… 

Je n’ai qu’un vague souvenir du début du concert. Ensuite, on a joué “Dark Evidence”, notre pièce la plus planante et dramatique, un peu Joy Division-esque. Nos ombres démesurées se projetaient sur le mur de l’édifice juste derrière la scène. Les nappes de Jupiter 4 déferlaient dans la sono puissante. C’était magique. Il n’existe malheureusement pas d’enregistrement de ce concert, mais vous pouvez écouter Dark Evidence ici, dans une version épique enregistrée aux Foufs. Et puis, c’est arrivé: dans les premières rangées, des membres d’un groupe, disons…rival, bien saoûls, se sont mis à nous crier des injures. Ils n’arrêtaient pas. J’étais furieux , et j’ai dit à Ian, “Viens avec moi, on va leur régler leur compte…” Heureusement, il a réussi à me calmer, à me faire entendre raison. 

Tout de même, un concert mémorable. Je n’aurai sans doute jamais plus l’occasion de jouer devant autant de spectateurs. Et cette bande magnétique? Étais-ce le vent ou bien…quelqu’un.? Au final,  je suis content qu’il n’existe pas d’enregistrement…de ces connards. 

Fin de l’interlude. 


Après plusieurs démarches (de J-R surtout), bingo! Un producteur indépendant va sortir le “démo” tel quel, (sur vinyle évidemment à cette époque). Tout est signé en octobre ’83 en bonne et due forme, contrats d’éditions et tout et tout. On est sur un petit nuage. Ça va durer un bout comme ça. Des shows au Collège Lionel-Groulx (très bon), puis au club Le Beat. Celui-là…quelque chose ne fonctionne plus…on est tout mêlés!  Ensuite, Mary quitte le groupe (d’un commun accord si mes souvenirs sont bons). Ian a besoin d’occuper toute la place. Le temps passe et passe. Le disque ne sort pas. Il ne sortira jamais. Le “producteur” est écroué pour…trafic de stupéfiants.  On est…stupéfiés (!), mais surtout amèrement déçus. On s’est bien fait avoir. 

On lèche nos plaies et on recentre notre son: En 1984 RedShift sonnera plus lourd, plus radical, encore moins pop si ça se trouve! Pour citer une chanson de Pierre Flynn: "Freedom, no compromise!" La suite au prochain blogue! 

En attendant, je vous annonce que RedShift se manifestera sur deux parutions vinyle en 2022! Vaut mieux tard que jamais. Je vous tiens au courant!

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